La Drogue, Quel Problème?

Depuis quelques années, les gens de mon village n’ont plus la même magie d’être ensemble. Il n’est pas rare d’en rencontrer qui sentent la boisson sans nécessairement être saouls. D’autres ont une drôle d’odeur qui les porte à rire sans raison. Aussi, un couple  a des piqûres sur les bras, même en hiver. La pharmacie,elle, a l’air de faire des affaires d’or. En somme, je vois de plus en plus des yeux mais pas de regards, sinon absents.

Alors, je me demande si on peut réaliser  qu’on a  un problème quand l’habitude prend  de plus en plus de place dans notre vie ? Selon ce que j’observe, cela paraît impossible sauf si la personne a déjà observé  certaines difficultés reliées à cette accoutumance. Et voilà pourquoi j’ai entendu régulièrement de ces réflexions si je tentais d’en faire allusion: ‘’C’est mon affaire. J’ai le droit, je suis libre de faire ce que je veux. Ça ne regarde que moi. Pis, je peux arrêter quand je veux. Les gens tout autour s’en font pour rien.’’

Ceci dit, Gilles venait régulièrement me voir. Il disait qu’avec moi, il ne se sentait pas jugé. Et je crois que cela venait du fait  que, pour moi,  la drogue n’était  pas un problème. Et c’était vrai. Alors, on pouvait parler ! De la vie, de sa vie, de tout.

Un jour, il m’a avoué spontanément que sa consommation avait changé avec le temps. Les effets ayant diminué en intensité, il devait s’y adonner plus fréquemment avec des doses de plus en plus élevées. Parfois il s’était essayé avec des produits ou des mélanges réputés plus forts. Sa consommation d’abord sociale au début, était passée à un usage de plus en plus individuel, devenant même une obsession.

Une autre fois, alors qu’il avait un drôle de teint, plutôt ‘’malade’’, il m’a confié que son corps ‘’obéit’’ de moins en moins. Il avait observé des troubles de sommeil, d’alimentation, de mémoire, d’attention, de concentration. Et ce, sur plusieurs mois, d’abord bénins, mais de plus en plus inquiétants.

L’ayant vu quelquefois  au village avec une jeune femme, ils semblaient assez complices. Quand je lui en ai parlé, il m’a tout de suite situé: ’’ Ce n’est qu’une copine utile.’’ Et d’ajouter qu’étant instable, d’humeurs changeantes, il avait connu beaucoup de ruptures. Une seule lui avait fait vraiment mal au point qu’il avait bien compris qu’aimer peut être dangereux. Ça peut faire mal. Alors, vaut mieux avoir des choix dirigés, sans trop d’implication.

En groupe, je l’ai toujours vu avec les mêmes gens, la plupart consommateurs comme lui.

Avec les autres, on pouvait dire qu’il n’avait plus de bonnes habiletés sociales. Sans même dire un seul mot, il finissait toujours par provoquer les bonnes âmes. De fait, il n’était bien nulle part. Et son seul ‘’ami’’ était son fournisseur.

Au plus jeune qu’il se souvenait, son milieu familial était problématique: beaucoup de méfiance, d’isolement, de ‘’cachettes’’. Et c’est comme ça qu’il s’expliquait de ne pas  vouloir d’enfant. C’est une des rares fois que j’ai vu Gilles essuyer une larme.

Quand il venait chez moi, il pouvait arriver à toute heure de la journée ou de la nuit. Il n’avait plus aucune occupation. Et quand j’étais affairé à ma routine, il s’assoyait et me regardait faire. Quand je l’invitais à venir m’aider, il me répondait toujours: ‘’C’est trop tard’’. Pourtant, je me souviens de lui quand on était plus jeune, il était bon sportif, bon travailleur au foin. 

Un dernier point qui le travaille maintenant, c’est de constater, quand il est seul devant son miroir, comment pour se payer ses ‘’paradis’’, il est parfois obligé de voler, de revendre, même de se prostituer à l’occasion. Ses valeurs en ont pris un coup.

Pour conclure, selon moi la drogue n’est pas un problème… pour le non-consommateur. Mais le drogué, lui , n’est pas heureux. De fait, il est le problème. Pas de jugement moral, juste une constatation. La drogue l’a diminué, l’a tiré vers le bas. Il a perdu beaucoup de moyens, de raisons d’être fier de lui-même. Il est son propre ennemi et la drogue n’est qu’un produit parmi tant d’autres. 

Et que penser de ces drogues ‘’invisibles’’, de ces produits autrefois défendus et qu’on a légalisés ? Quels rôles  réels jouent-ils ? De les rendre ainsi disponibles ne les fait pas moins nocifs pour certains et invitants pour d’autres.

Le Fou Du Village