Le Suicide En Évolution

Il y a cinquante ans, le suicide était associé à la maladie mentale. Les gens disaient qu’il fallait être fou pour poser un tel geste. La personne suicidaire était vue en psychiatrie qui expliquait alors ce comportement par la dépression. Et le psychiatre tentait de faire un diagnostic différentiel en tâchant de déterminer si la situation était légère (névrotique) ou sévère (psychotique). Car cela pouvait indiquer le degré de risque d’un passage à l’acte et exiger une surveillance plus ou moins grande. Bien sûr, cette approche était avant tout médicale sous l’entière responsabilité du médecin et ce dernier pouvait avoir accès aux premiers spécimens de ce qu’on appelait déjà les ‘’médicaments de l’esprit’’.

Puis apparurent les paramédicaux, principalement psychologues et travailleurs sociaux. Avec eux, le discours changeait et l’approche également. S’inscrivant dans une relation d’aide envers les suicidaires, ils les écoutaient pour chercher à comprendre ce qui les faisait souffrir au point de vouloir en finir une fois pour toute. On disait alors que le suicidaire ne voulait pas mourir mais qu’il désirait ne plus souffrir. Et des équipes multi-disciplinaires virent le jour.

Plus tard, ce sont les Centres de prévention du suicide qui s’invitèrent. Pour eux, le suicide s’expliquait dans une dynamique de crise qui se préparait sur quelques heures ou quelques années selon les personnes. Il s’agissait alors d’accompagner le suicidaire pour dénouer cette crise. On disait qu’il fallait aller dans son p-a-r-c pour voir s’il y avait un coq, c’est-à-dire une planification dans le où, quand, comment. S’il  avait connu dans sa vie passée des antécédents personnels ou de proches (famille, voisins ou amis qui lui ont donné la preuve que le suicide pouvait être une option); s’il avait des ressources personnelles (prise de conscience, introspection, aide extérieure) ; s’il avait une facilité de communication de ses expériences antérieures et actuelles, surtout de ses émotions.

Voyant que les premières confidences se faisaient souvent au niveau des pairs, le Centre avait formé des groupes dans les écoles, les entreprises qu’on appelait des Sentinelles. Cela permettait d’élargir le filet de sécurité pour éviter un suicide. Améliorant leur qualité d’écoute et de présence, les sentinelles ne devaient surtout pas rester seules avec ces confidences. Elles étaient invitées à  en parler avec un professionnel de l’équipe pour évaluer et assurer le suivi. 

De nos jours, avec le temps, dans la compréhension du phénomène, on en est arrivé à l’idée que c’est dans la raison du suicide que se fait une différence. S’il est lié à des problèmes personnels de vengeance ou dans le but d’attirer l’attention, la situation est inacceptable. Mais, s’il est assisté en fin de vie dans le but de ‘’mourir dans la dignité’’, la loi le permet. Elle permet également d’avorter un foetus, même à neuf mois, si le médecin seul juge que la mère ne peut pas avoir l’enfant. Enfin, si on étudie la mort d’un kamikaze ou d’un samouraï, on ne parle pas de suicide mais d’un acte de devoir digne de reconnaissance. 

Pour conclure, le suicidaire aurait changé de statut depuis cinquante ans. Il était un fou ayant besoin de soins psychiatriques et de médicaments psychotropes. Ensuite, il était aidé par une équipe multidisciplinaire pour affronter et dénouer ses angoisses et sa pulsion de mort. À la fin, il était accompagné par des personnes qui cherchaient avec lui à sortir de cette crise. Le suicidaire n’était plus malade, il avait besoin d’aide pour passer sa crise et était appuyé par sa communauté. Quitte à consulter plus à fond plus tard.

Aujourd’hui, dans une problématique suicidaire,  la responsabilité d’intervenir incomberait à la médecine. On serait revenu à une chasse aux symptômes. Mais, le professionnel craignant une poursuite pour mauvaise pratique et  entretenu en cela par un complexe pharmaco-industriel qui le tenaille, on assiste à un mouvement de prescription à outrance, même pour les enfants. Les antidépresseurs sont à la mode et évitent de nous rendre sur le terrain pour comprendre ce qui se passe. On préfère éteindre les émotions et avec, les prises de conscience, les remises en question personnelles, sociétales. On échange une tendance suicidaire par une toxicomanie médicamenteuse, une pharmaco-dépendance.

Le Fou Du Village