Tôt le matin, encore nuit, le Fou Bozon se promenait dans le village. Peu ou pas de lumière, sinon ici et là. Aucun vivant n’était visible, sauf ceux à quatre pattes qui le suivaient de loin. Il y avait bien quelques décorations mais au minimum et pas partout. De fait, tout dormait et la vie semblait absente sauf pour ceux qui avaient un peu d’imagination, moult souvenirs. Et Bozon en avait beaucoup. On le disait Fou mais il n’avait pas la tête vide pour autant.
Il se rappelait quand Big Jeff et lui allaient préparer la venue d’un grand Arbre de Noël tout illuminé, une semaine avant la fête. Ce géant à la tête et la barbe blanches venait chercher Bozon pour aller cueillir plusieurs cocottes par terre. Il les cachait alors sous son manteau, appuyées sur son gros ventre comme ceux des femmes qui attendent une visite. Rendus au centre du village, Big Jeff sortait le précieux colis de sa cachette, le manipulait avec respect et montrait à Bozon comment préparer le mystère. Puis, ils allaient chercher de l’eau à la fontaine pour arroser le renflement plein de promesses, attendant la venue du miracle.
Une autre fois, Big Jeff avait montré à Bozon un petit trou dans la neige en lui disant de regarder à l’intérieur. Sans méfiance aucune, en toute innocence, il s’était exécuté pour découvrir un village entier tout en miniature, maisons, chemins, personnes, animaux. Bozon entendait même les chants qui sortaient avec entrain et frénésie. Une énergie nouvelle l’enveloppait, quelque chose comme un bonheur pur. Il lui semblait même reconnaître des visages qui ressemblaient en tout point à celui de son voisin d’aventure.
Bozon avait alors des retours d’images qui lui venaient épars d’un temps pas si lointain où tout le village avait le sens des Fêtes. Chants, danses, visites, repas etc. Il y avait quelques cadeaux, principalement pour les enfants. L’arbre que Big Jeff et lui avait ramené dans le centre du village se retrouvait, en plus petit, dans toutes les maisons. Moment central, tout le monde se retrouvait à l’église pour l’accueil de Jésus dans une messe solennelle, à minuit.
En somme, le monde en miniature s’était reproduit avec la même énergie. Et quand Bozon entrouvre un œil pour quitter cette féérie, il ne comprend pas ce qui s’est passé pour en arriver à une telle ‘’platitude’’. Les gens de son village ont encore des yeux mais de moins en moins de regard. Ils cachent leurs visages pour s’enfermer dans la prison d’un isolement macabre. Ils s’éloignent de tout en gardant une distance qui les protège, eux et les autres. On ne sait pas réellement de qui ou de quoi. Et malheur à ceux qui ne respectent pas les consignes. Ils sont rejetés de tout le monde, y compris famille et amis. Les délateurs, eux, sont invités à collaborer. Enfin, les médias ne cherchent plus à informer mais à participer à cette mascarade. De fait, on ne s’aime plus, encore moins les autres, ni même l’humanité.
Pour Bozon, une fois par année, on avait la permission de se déguiser, à l’halloween. Et cela était un rappel aux morts. Aujourd’hui, la fête se poursuit et la mort ou la folie deviennent la norme. Pour lui, il n’y a plus de joie, de compassion, de verticalité, de spiritualité. Seuls la matière, la raison, le divertissement, la consommation. Hier, on disait: ‘’Qui fait l’ange fait la bête’’. Que dire alors de ceux qui s’auto proclament Homo Deus ? Bozon voit plutôt l’avenir en continuité avec la tradition et les bonnes mœurs. En cela, il est comme Aristote qui disait: ‘’Le paradis perdu, c’est la tradition perdue’’
Le Fou Du Village