Autrefois, le fou avait un rôle important pour le village et ses citoyens. Étant différent, il rendait cette notion de ‘’différence’’ disponible à tous et à toutes. Ainsi, cet être à part faisait en sorte que tout n’était pas à l’identique. On ne tentait pas de le rentrer dans les rangs, il était fou. Bien plus, il servait souvent à l’équilibre tant individuel que collectif, car il pouvait servir de bouc-émissaire ou de faire valoir. Alors, les gens n’avaient pas à s’interroger sur eux-mêmes. Ils étaient tout simplement différents du fou.
Aujourd’hui, force est d’admettre que cet archétype sociétal est bouleversé. Comme son frère naturel l’arbre, il agonise. Ses racines-traditions ayant été nourries de toutes sortes d’apports sans rapport, son tronc ayant été agressé par des ‘’survenants ‘’ qui veulent lui en imposer toujours davantage, ses feuilles ayant reçu des idées acides qui ne l’oxygènent plus, il décline. Il n’en meurt pas toujours mais il est atteint. Le fou n’a plus sa place et est pris en charge. Avec le temps, on s’habitue à son absence, on en a peur et on préfère ne plus le voir. Le fou n’est plus tout à lui, ni à son village.
Car, n’est plus fou qui veut. Il lui faut maintenant une reconnaissance officielle par un professionnel autorisé. Ce dernier devra définir à quelle sorte de folie il appartient, quelle sera son évolution prévisible, sa possibilité de traitement, de changement. Il lui faudra aussi déterminer s’il peut être dangereux pour lui et son entourage. Il devra estimer s’il peut garder un contact avec l’extérieur ou si on doit le maintenir en institution. Comme vous voyez, à ce jeu de haute voltige, le fou peut n’avoir rien à décider sur son destin.
Des gens étaient venus dans son village pour une étude très sérieuse et avant-gardiste. Ils voulaient savoir si une équipe de professionnels pouvait s’implanter dans une communauté et offrir leur aide pour faciliter la vie des gens et de leur fou. De fait, on allait lui apprendre à fonctionner dans la société comme il en était jadis dans son village d’appartenance où il avait son espace. Du moins, c’était ce que ces gens croyaient et affirmaient.
Avec le temps, ‘la folie a été colonisée’’, avec ses abus de pouvoir. À un tel point qu’il a fallu un jour émettre une loi pour la protection du ‘’malade mental’’, donnant des balises claires sur les interventions possibles et souhaitables. Ne lui reconnaissant aucune existence propre, aucun droit, il était pris en charge et complètement dépendant des décisions professionnelles, même devenir un sujet de recherche discutable. Et le modèle d’intervention en était un de la ligne droite: aucune fluctuation des émotions, qu’elles soient positives ou négatives; aucune pensée personnelle qui dévie ou pourrait dévier du plan de traitement; aucun comportement qui pourrait être identifié comme anormal selon les règles de la société. En somme, dans ce moule, le fou et son village ne pouvaient plus exister. L’évolution et le progrès étaient en marche et le modèle était tracé en ligne droite.
P.S. Le fou du village n’étant pas mentionné sur leur liste professionnelle, je suis chanceux car je passe sous leur radar. Je vous demande alors de ne pas me trahir autant pour vous que pour moi et au temps que nous le pourrons.
Le Fou Du Village