Le deuil autrement

Le deuil vécu est lié à l’attachement que nous avions au disparu, attachement plus ou moins fort, plus ou moins dramatique s’il est teinté de dépendance de part et d’autre. Il arrive que le mourant ne veut pas lâcher prise parce qu’il sent qu’il n’a pas le droit de ‘’partir’’. Et tout ce drame se joue différemment selon les personnes.

De fait, il est dit que le parent doit préparer ‘’son’’ enfant à vivre mais aussi à mourir, à faire face aux ruptures. En ce sens, aimer ne veut pas dire ‘’attacher’’ mais accompagner l’autre pour le temps qui nous est alloué selon l’autonomie de chacun qui est à faire. En cela, il faut couper le cordon graduellement de part et d’autre et donner à notre amour un sens de plus en plus élevé, nourrir un lien de plus en plus spirituel mais toujours incarné. 

Cela me rappelle une discussion entre une mère et son fils de soixante ans. Ce dernier lui disait qu’il allait trouver difficile de ne plus la voir, de la rencontrer pour échanger de tout et de rien, lorsqu’elle  sera partie. Et cette dernière de lui rétorquer: ‘’Qu’est ce que tu dis là? Mon corps ne sera plus à tes côtés, toutefois, la voix qui te parle est immortelle. Mon esprit est éternel, sera toujours vivant,  et mon âme aura toujours de l’amour pour toi’’. Alors, la mort ne sera pas un problème, notre contact n’en sera que plus subtil, pas de paroles, juste une présence bienfaisante. Cette scène est d’autant plus’’ irréelle’’ que l’enfant de soixante ans était un scientifique de haut niveau.

Autre histoire, autre mystère que celle de cette ‘’vieille fille’’ dans la trentaine qui vivait avec son père depuis la mort de sa mère. Puis un jour,  un drame est survenu lorsque le père est décédé subitement. La fille a vécu alors un choc immense, tout s’écroulait pour elle. Mais,  régulièrement, elle se référait à son père décédé pour affronter ce qu’elle devait faire dans telle situation, ce qu’elle devait en penser etc. de sorte que sa vie tournait encore autour du défunt . Puis une nuit, lors d’un ‘’rêve’’, son père lui est apparu pour lui dire qu’elle était maintenant capable de faire face à tout ce qui lui arrivait, qu’elle devait maintenant le laisser à sa ‘’propre vie’’. Depuis lors, elle ressentit un calme bienfaisant, la douleur de la perte s’est estompée et elle repris possession de son destin. Juste de bons souvenirs.

Autre destin, autres fin que celle d’ Huguette. Elle avait vécu soixante ans avec François et avait eu cinq enfants avec ‘’son’’ homme. Leur vie était très active avec ses hauts et ses bas. Puis le destin a frappé fort. Elle s’est retrouvée seule sans aucune préparation. Ses enfants étant maintenant adultes lui furent d’une grande aide au temps du choc qu’elle ne vivait pas seule. Ce qui  lui permettait  de redevenir très active: couture, cuisine, assistance aux autres etc. Mais son secret intime était simple: chaque soir, elle embrassait la photo de son mari au mur, sentait son pyjama qu’elle gardait sous son oreiller et lui souhaitait bonne nuit. Pour elle, ce n’était qu’ une continuité de la vie qu’elle avait toujours eue avec lui, jour et nuit. Il était toujours là sous une autre forme, une autre énergie. Elle gardait une grande sérénité, un beau sourire et devenait pour ses enfants et ceux qui la côtoyaient un modèle  pour affronter une rupture dont la mort…’’qui n’existe pas.’’

Enfin, il y a cette situation où le deuil s’est fait au cours même de la vie. Charles avait des parents particuliers. Il avait appris très tôt qu’il avait sa vie et que ses parents avaient la leur. Quand il les rencontrait, c’était comme hier. Après un court séjour avec eux, il repartait pour des semaines, parfois pour des mois. Juste quelques textos à l’occasion. Quand son père est décédé, il est venu aux funérailles, puis est retourné à sa vie. Puis un jour il eut  envie de parler à son père, pour réaliser que ce dernier était parti, sans plus. Juste une pensée, des souvenirs, un baiser à la volée.

Le fou du village