Plusieurs ont raconté leur histoire dans les camps de rééducation que l’on retrouvait dans tout système totalitaire. Ils avaient différents rôles: rééduquer les têtes fortes, avoir une main d’œuvre à bon compte ou tout simplement se débarrasser d’un rival. Toutefois, ceux qui y faisaient un séjour n’en mouraient pas tous, malgré de grandes privations. Aujourd’hui, il en existe encore sous différentes formes plus ou moins élaborées. Le principal enjeu en est d’assurer un contrôle de plus en plus complet sur les individus et les populations. Ainsi, le pouvoir est aux mains d’un seul ou d’une élite restreinte et sélectionnée, souvent héréditaire.
Dans un tel contexte, toute personne différente peut être identifiée comme menaçante et, le sachant, vivre un malaise de plus en plus présent. Surtout si certains de ses compagnons ont déjà été recueillis. À chaque fois, elle se demande si c’est maintenant son tour d’avoir une visite et un voyage organisé. À mesure que le danger augmente, l’angoisse peut suivre la même courbe. Et le fantasme poursuivant son œuvre, certains ont parlé d’avoir été heureux quand leur tour est arrivé de partir. Ils préféraient vivre la réalité plutôt que l’incertitude de fois en fois. Le défi était alors de ne pas affronter ni de jouer au plus fin avec ceux venus les chercher. Ils avaient un rôle à jouer et il n’y avait rien de personnel.
Une fois sur place, une nouvelle vie s’organisait avec des routines et des lois différentes. Les contrôleurs étaient de plus en plus connus et on s’y accommodait. Les seuls vrais ennemis étaient les collabos, les capos, ceux qui pouvaient rapporter n’importe quoi pour s’attirer ou maintenir leur privilège auprès des dirigeants du camp. Et, dans l’ensemble, la vie suivait son cours. Les trafics de toutes sortes assuraient les équilibres nécessaires à la survie. Les seules disputes réelles portaient sur le vol de pain, symbole de la nourriture essentielle, de la ‘’présence substantielle’’ de Dieu . Référence à la vie d’avant mais aussi de l’affliction de la privation dans cet enfer. Le pain est la mémoire des origines et du temps.
Bien sûr, au fil des jours, tout le monde ressentait des changements majeurs dans leur pensée, leur sentiment, leur volonté ou intention d’être. Tout étant chamboulé, chacun vivait une sorte d’altération. Il n’était plus et ne serait plus jamais le même. Toutefois, cela pouvait être vécu différemment d’une personne à l’autre. Certains vivaient ça comme un véritable gouffre, une ‘’mort vivante’’. Pour d’autres, ils parlaient de nouvelles réalités, de nouvelles expériences qui les avaient amenés plus loin, les avaient ‘’bonifiés’’ par après. Enfin, il est bon de nous rappeler que plusieurs de ces dissidents ont fait le rapprochement entre leur expérience aux camps et la nouvelle réalité des civilisations de masse. Dans ces réalités, il y a une véritable aliénation de l’individu.
Et cela s’avère encore plus vrai avec les communications d’aujourd’hui et l’internet. Beaucoup de communications mais guère de relations. On parle même de proximité distante. Beaucoup d’isolement remplaçant la solitude et le silence réparateurs. Alors, imaginez ce que serait l’individu avec la réinitialisation, la biométrie, l’identification faciale, l’intelligence artificielle etc. Il devrait répondre aux diktats de toutes sortes au détriment de son libre-arbitre. Il serait comme un robot organique adapté à ses ‘’confrères’’ mécaniques, électriques et autres. Rien à penser, à ressentir, à agir différemment de la programmation. Les camps de rééducation seraient alors partout, pour tous…avec leur ‘’consentement’’.
Le fou du village