La vie en fantaisies

C’est l’histoire d’une mère et de son fils dont l’origine fut tenue secrète pendant très longtemps. Pas de père, de famille immédiate et médiate. Seule la date de naissance du bambin était connue parce que la mère y était. On aurait pu dire que tout s’était passé sous la feuille d’un chou. Les voyages étaient fréquents, d’une habitation à une autre, car rien n’était stable pour eux. Leur présent était tout ce qu’ils avaient car le passé laissait des mémoires brumeuses et leur avenir n’était jamais prévisible, ne s’éloignant guère plus que de quelques heures. Bien sûr, ils vivaient  sans aucune abondance matérielle. Mais leur vie intérieure était  riche de tout leur amour et imagination. À chaque jour, ils avancaient vers leur destinée avec confiance et insouciance se sachant protégés par une force qui ne les abandonnait jamais. Comme dans la fable où les oiseaux qui ne se préoccupent pas de leur subsistance, sachant que la Terre Mère y pourvoira.

Très tôt, il était évident que l’enfant n’irait pas à l’école bien longtemps, il serait alors comme un oiseau qu’on met en cage pour répondre à nos désirs sans tenir compte de son besoin. En avait-il vraiment besoin, étant stimulé sans cesse par la réalité de la vie, non par la virtualité des livres, même celle des contines ? L’imaginaire était leur quotidien pour trouver de quoi manger, se loger, éviter les services mis en place par les bonnes âmes pour le récupérer et l’enlever au seul vivant qui comptait pour lui, sa mère. Alors, s’appuyant l’un sur l’autre, ils se fabriquaient une vie à leur mesure.

Pour s’amuser, et participer de loin à la vie sociale, ils allaient à la tombola annuelle et leurs yeux étaient tout allumés par autant de manèges, de lumières, de musiques. Souvent,  ils se rendaient le dimanche près du perron de l’église pour observer les gens de la place, anciens  et nouveaux. Pour la mère, c’était l’occasion de voir les toilettes féminines qu’elle ne pourrait jamais porter mais sans peine, les trouvant inadéquates pour sa vie de tous les jours. Dans tous ces moments hors de l’ordinaire, la mère et son fils échangeaient plein de scénarios, de commentaires, et les figurants de leur pièce n’en avaient aucune idée. C’était leur vie à eux. 

Il y avait un moment mémorable que la mère ne manquait pas de souligner, c’était la date de fête de son fils, le seul anniversaire que les deux partageaient sans jamais y manquer. Et c’était l’occasion de certains suppléments festifs: pommes et oranges pour les deux qu’on ne devait pas goûter avidement. Quelques bonbons qu’on devait consommer un à un.

Mais, la fête qu’on se devait de vivre sans aucune envie ni tristesse, c’était celle de l’enfant Jésus: Noël. Bien sûr, il y avait plein de décorations partout, dans les rues et chaumières, des gens tout endimanchés. Alors, la mère et son fils s’invitaient tous les ans à l’un de ces réveillons, pas toujours au même endroit. Il s’agissait de s’approcher près d’une fenêtre du salon et de regarder à l’intérieur. De belles toilettes, des victuailles en abondance, des rires, des chants. Et tous deux participaient à la vie de ce beau monde. Ils s’inventaient des discussions, des observations, des remarques sur untel ou l’autre. Ils étaient les seuls à connaître ce plaisir, comme dans une vie en parallèle. Bien sûr, ils mangeaient quelques friandises et buvaient du jus pour ne pas être en reste. Souvent, ils partaient avant la fin du party dont ils finissaient par se  lasser. Le retour était joyeux, comblé.

( Hommage à Hélène)

La fou du village