Dans le petit village de Bozon le fou, tout était figé depuis des lunes : maisons, personnes, rues, activités. Tout s’agitait au rythme de la nature et selon les règles du clergé. La ligne du temps semblait ne plus bouger et s’était arrêtée ici sans que personne ne puisse savoir au juste depuis quand et pour combien d’années encore. On savait seulement que cela pouvait durer car les plus anciens étaient très âgés et disaient ne pas avoir connu d’autres lieux et leurs pères avant eux. En somme, seule la rivière qui passait par là ne suivait pas une ligne droite et c’est pourquoi elle avait donné son nom à la bourgade: La Croche.
Bozon le Fou y avait fait son royaume depuis qu’il avait trouvé une petite cabane en retrait et qui avait été abandonnée sans jamais savoir depuis quand. Il y avait des activités de survie : amasser de l’eau, couper du bois, attraper de petits gibiers. Et parfois, il recevait de la visite et des ‘’ dons ‘’ d’âmes généreuses. Dans ces cas, il se faisait un devoir d’initier un retour en leur rendant quelques services. Ainsi, sa vie était ‘’simple’’ comme lui, sans plus.
Bozon avait un ami qui était comme un ‘’frère’’. Ils se voyaient rarement mais c’était toujours dans une continuité, comme si c’était hier. Leurs conversations étaient souvent sans mot. Juste un regard, un sourire, une activité parallèle. Car Glen était lui aussi en dehors de la boîte. Il vivait seul avec sa mère et l’aidait dans son jardin, les tâches ménagères, dans ces moments qui demandent une force plus brute. Glen avait le physique d’un lutteur mais était doux, il avait l’innocence d’un enfant, la douce tranquillité au jour le jour. Tout le monde le connaissait et appréciait sa présence. Certains, avec l’accord de la mère, pouvaient même utiliser ses services.
Le dimanche, à la messe, Zabeth les voyait de loin, dans l’église ou sur le perron, avant de revenir chacun chez soi. Encore là, sans grand éclat de voix, le courant passait entre les trois. C’était un moment de bonheur supplémentaire comme quand le masculin rencontre le féminin, sans arrière-pensée ni stratégie de conquête. La présence de Zabeth suffisait.
Puis, pour un temps, Zabeth n’apparaissait plus nulle part. On disait qu’elle était partie chez une tante. Dans le village, cependant, un bruit courait de plus en plus insistant et gonflé des ajouts de plusieurs. Zabeth était devenue une jeune femme avec des attributs féminins extérieurs évidents. Plusieurs jeunes et moins jeunes avaient des désirs qui étaient plus ou moins avouables et qui ‘’troublaient’’ bien des gens. Mais, la morale et les valeurs aidant, tout restait caché et calme. Ne vivaient que les fantasmes.
Le pire était arrivé de l’extérieur. Un garçon de la ville était venu rendre visite à sa mère et n’avait pas voulu se contenter des désirs. Zabeth étant désirable à ses yeux et naïve, alors pourquoi ne pas en profiter. Le prédateur a vu une proie facile et s’est exécuté sans retenue. Zabeth fut bouleversée au point où son comportement a alerté son père. Ce dernier, avec précaution, a fini par savoir ce qui s’était passé.
Puis tout s’est précipité: l’examen médical confirmait l’état et le futur de Zabeth. Le curé ne pouvant accepter un enfant né du péché dans sa paroisse, il obligea les parents à placer leur fille chez une tante-institution pour qu’il n’y ait pas de récidive et son enfant serait remis à la crèche, incognito. Bien sûr, la mère du prédateur n’a jamais revu son fils mais a porté sa vie durant le fardeau de sa honte. Les parents de Zabeth furent ‘’défaits’’ ne sachant ce qu’il advenait de leur fille, laquelle ne savait toujours pas ce qui lui arrivait. Quant à Bozon et Glen, ils ont attendu longtemps le retour de leur amie puis ont fini par ne plus rien espérer. Le village et leur curé s’en sont remis à leur morale qui était sauve. Les acteurs de ce drame devinrent ‘’invisibles’’, les regards vers eux étant fuyants et un silence chargé fut leur lot. Ils n’ont plus jamais vécu, seulement survécu.
Le fou du village